[LIEU] Maison locale des Amazones (ancienne guilde)

[Zashera Drak]

Le bruit de la cloche la réveilla en sursaut.

Crotte, je me suis endormie !

Elle se redressa brusquement et balaya le jardin du regard mais ne vit personne. Elle ramassa son carnet et son crayon, les fourra dans sa poche avant de s’engouffrer dans le bâtiment. Là encore, elle scruta les yeux pour voir si l'Amazone était de retour.

- Léonie, tu es rentrée ?

Pas de réponse. Résignée, elle se dirigea vers la porte qu'elle ouvrit lentement. Il était peu probable qu'un visiteur mal attentionné vise une maison dans cet état, surtout qu'il faisait encore jour, mais prudence est mère de surêté. Avec précaution, elle se pencha pour voir à travers l'entrebaillement de la porte qui avait sonné.

- Oui c'est pour qu...

Elle ouvrit la porte en grand d'un coup sec.

- Balthy ! Comment ça va ?

Dans le même temps, elle remarqua Tidrak qui se balançait joyeusement au bout de la corde.

- Et bonjour petit bonhomme !

[Balthasar]

Un peu interloqué par cet accueil tonitruant, Balthasar ouvrit la bouche sans avoir la moindre idée de ce qui pourrait bien en sortir. Heureusement, Ash gagatisait sur Tidrak, qui se comportait comme un gigolo sans vergogne.

- Euh, bonjour, Ash, coassa-t-il pitoyablement.

Reprends-toi, crétin. Elle va croire que tu en pinces pour elle, si tu continues comme ça.

Regardant par l'ouverture béante pour se donner une contenance et mettre de l'ordre dans ses idées, il sentit une bouffée de nostalgie le submerger. Oh, bien sûr, ce n'était pas sa Maison, mais il y avait quelque chose, dans l'odeur, dans l'allure générale...

- Ma mère était une amazone, murmura-t-il presque malgré lui. J'avais sept ans quand... Et ma femme, aussi. Ma fille en aurait été une, je suppose, si...

Réalisant avec stupeur ce qu'il venait de dire, il se secoua et se força à prendre un ton enjoué.

- Je peux entrer ? demanda-t-il. C'est vous que je suis venu voir.

Une main se posa sur son épaule, manquant le faire jaillir hors de sa peau.

[Léonie]

- Vous êtes bien nerveux, l'homme, nota Léonie d'un ton sec. Que venez-vous faire ici ?

Elle avait conscience d'être injuste, ayant fait en sorte d'approcher discrètement du vagabond, et l'ayant très vraisemblablement surpris, mais on n'était jamais trop prudent. L'homme n'était pas ce qu'il prétendait être, cela, elle en aurait mis sa main au feu. Et ce ne serait pas la première fois que la guilde aurait maille à partir avec un individu apparemment débonnaire.

- Il t'embêtait, chiya ? demanda-t-elle à la jeune femme, qui grattouillait le dracofée avec une drôle de tête, comme si elle était somnolente, malade ou droguée. Tu vas bien ? Il t'a suivie jusqu'à la guilde ?

Machinalement, elle avait porté la main à sa ceinture, prête à dégainer sa lame, dans l'attitude d'une mère de serment devant l'agresseur d'une de ses filles. Avant de réaliser que la jeune femme semblait davantage déconcertée qu'effrayée. Et que c'était elle qu'elle fixait avec stupeur. Écartant lentement la main de sa dague, elle se força à respirer profondément pour relâcher un peu la tension.

- Désolée. L'habitude.

[Zashera Drak]

Tout en s’amusant de voir Tidrak faire des cabrioles aériennes, Ash s’interrogea.

* Je me demande bien ce qu’ils fichent ici. *

Elle n’était pas mécontente de les voir, bien sûr. Même si leur rencontre pouvait être qualifiée de rocambolesque, elle avait été touchée quand Balthasar lui avait soufflé des recommandations pour éclaircir son passé. Et, naturellement, elle s’était tout de suite attachée au petit dragonnet. Mais elle ne s’attendait pas à les revoir aussi vite et surtout ici. Au vu de son altercation avec Léonie, elle aurait juré que ces deux-là ne se connaissaient pas.

Balthasar commença à lui expliquer, malgré lui, la raison de sa présence et ses liens avec les Amazones. Elle afficha un sourire compatissant face à ses révélations involontaires, mais son expression se transforma en grimace gênée lorsqu’il demanda à entrer. Elle n’était pas la maîtresse des lieux et ne se sentait pas légitime à faire entrer qui bon lui semble. D’autant plus dans une maison traditionnellement interdite aux hommes.

- Je ne sais pas trop, je préférerais que Léo…

Ses yeux s’écarquillèrent et elle laissa échapper un rire moqueur devant le visage mortifié de Balthasar surpris par l’Amazone. Par pudeur, elle ne laissa par contre pas transparaître son émotion face à l’attitude protectrice de son hôte. Attitude qui lui avait pourtant fait chaud au cœur.

- Tout va bien Léonie. Nous nous connaissons, depuis peu certes, mais je ne pense pas que Monsieur Balthasar Chalumeau Senior - elle insista sur le Senior en faisant un clin d’œil à l’homme - ici présent, ait de mauvaises intentions.

Elle caressa Tidrak qui venait de se poser sur son épaule.

- Et je ne peux croire que ce petit énergumène accorderait sa confiance à une personne mauvaise. Elle s’adressa de nouveau à Balthasar. Par contre, concernant la possibilité de vous faire entrer, c’est à Léonie qu’il faut demander l’autorisation.

[Balthasar]

Balthasar avait de nouveau l'impression d'avoir 7 ans. Il était sur le seuil de la Maison de la Sororité de Drendar, et un homme (son père, apprendrait-il plus tard) le tenait par la main. Sa mère et sa breda pleuraient sur le seuil. Il suppliait qu'on le laisse rentrer. Sa mère de serment se tordait les main, disant que ce n'était pas sa décision. Que seule la Matriarche savait ce qui était le mieux pour lui. Qu'un grand garçon ne devait pas grandir parmi les femmes. Qu'il serait heureux au château. Qu'elle viendrait le voir quand elle le pourrait. C'était la dernière fois qu'il la verrait jamais : elle était morte peu après dans un incident stupide au port. C'est du moins ce qu'avait dit sa breda, des années plus tard, quand il l'avait revue à son mariage.

Il s'éclaircit la gorge, pris de court par la violence de ses sentiments. Il n'allait tout de même pas se ridiculiser en chialant comme un gosse.

- Maîtresse Léonie, s'inclina-t-il, je vous garantis que mes intentions sont honnêtes. Je voulais depuis longtemps passer à la guilde pour l'histoire qui m'a conduit à Elwen, mais c'est autre chose qui m'amène aujourd'hui. Quelque chose qui concerne Zashera Drak et ses... particularités. Je ne pense pas qu'elle aimerait que nous en parlions en pleine rue. Puis-je entrer ?

Il posa au sol son bâton de marche, puis fouilla dans sa bure et en sortit l'arme qu'il avait achetée au Paradis de l'Aventurier, garde tendue vers la vieille amazone.

- Je vous confie mes armes, si vous le souhaitez. Je n'en ai pas d'autres, je le jure.

Perché sur l'épaule d'Ash, Tidrak regardait la scène avec curiosité, inclinant la tête en toutes directions comme s'il cherchait à se faire une idée de ce qui se jouait sous ses yeux. Un peu inquiet tout de même, il trilla une question et rejoignit loyalement le vagabond.

- Tout va bien, Tidrak, tout va bien. Ce n'est qu'un malentendu.

[Léonie]

Léonie grommela un vague acquiescement en prenant l'arme tendue. Pour être tout à fait honnête, elle se sentait un peu honteuse de sa réaction. Elle avait pu évaluer l'homme quand ils s'étaient croisés à l'Antre des Gargouilles, et il ne lui avait pas fait mauvaise impression, à part ce sentiment tenace qu'il n'était pas ce qu'il prétendait être. Mais il avait été gentil avec Hastur, et Ash avait l'air de l'apprécier. Elle vivait seule depuis trop longtemps. Elle ne savait plus comment faire confiance. Et trop d'hommes lui avaient fait sentir qu'elle ne servait plus à rien, ces derniers temps, lorsqu'elle essayait de s'engager quelque part. Celui-là avait pris pour les autres, alors qu'il ne le méritait probablement pas.

Hastur haletait joyeusement aux pieds du mendiant, les yeux rivés sur le petit dragonnet qui semblait s'être placé en protection de son humain. Machinalement, l'homme grattouillait la tête du vieux chien, qui lui bavait généreusement dessus.

- Hastur, ici ! ordonna-t-elle. Laisse le monsieur tranquille.

- Il ne me dérange pas, Tha'Ima. C'est une brave bête, qui sait juger les gens.

Léonie grimaça à cette pique. Mais il avait raison. Hastur était bon juge des caractères. Et encore une fois, il l'avait appelé Tha'Ima, comme s'il connaissait les usages de la guilde.

- Entrez, l'homme, grommela-t-elle en passant devant lui. Vous pouvez reprendre votre bâton. Même si je doute qu'il vous serve à marcher. Je soupçonne qu'il y a plus de muscle que de graisse sous ces apparents bourrelets.

[Balthasar]

Balthasar hocha la tête en souriant. Touché ! Cette femme avait l’œil, il faudrait qu'il compte avec elle à l'avenir. Elle n'était pas commode, mais peut-être était-ce exactement ce dont il avait besoin. La question était de savoir si elle était encore assez en forme pour partir en quête.

Il hésita avant de lui répondre, ne sachant si les tournures de Drendar étaient propres à la ville, ou communes à toutes les Maisons.

Oh, et puis zut. Au pire, si ce n'est pas l'usage ici, elle me trouvera bizarre, ce qui ne changera pas grand-chose.

- Au feu et au vent il faut livrer passage. A l'hôte et à l'étranger, l'accorder est un signe d'honneur. Merci, Tha'Ima.

Il nota avec plaisir la pause presque imperceptible de la vieille femme. Lui aussi pouvait faire mouche. La formule qu'il venait de prononcer faisait de lui un peu plus qu'un simple invité, et le fait qu'il la connaisse empêchait Léonie de s'en offusquer sans perdre son honneur. La manière dont elle s'était raidie montrait qu'elle en avait conscience et que, même si elle n'appréciait pas forcément, elle serait à la hauteur de l'engagement.

- Et je m'appelle Balthasar, pas "l'homme", ajouta-t-il d'un ton innocent. Balthasar Chalumeau Senior. Comme vous l'a dit notre jeune amie ici présente. Mais vous le saviez déjà.

Et, avec un clin d’œil malicieux au passage à ladite jeune amie, il s'engouffra dans la Maison à la suite de l'amazone.

[Zashera Drak]

Ash haussa un sourcil sceptique en imaginant une musculature secrète chez le vagabond. En le voyant, elle l’avait inconsciemment rangé dans la case « bonhomme débonnaire » sans chercher plus loin. Elle soupira contre elle-même, déçue par sa propre attitude. La jeune femme était la première à souffrir des préjugés et elle se permettait d’en avoir aussi facilement ? Cela n’était pas acceptable. Surtout si l’on prenait en compte ses pérégrinations et le nombre impressionnant de personnalités atypiques qu’elle avait pu rencontrer.

Des petits bouts de femmes qui auraient pu mener une révolution à elles seules, des vieillards qui avaient eu le dessus sur elle, mais aussi de grands et beaux chevaliers qui auraient été sans doute valeureux s’ils avaient accordé autant de dévotion à leur entraînement qu’à leur mise en pli. C’est donc un peu honteusement, même si elle ne laissa rien paraître, qu’elle se décala de l’encadrement de la porte pour laisser ses deux aînés entrer dans la Maison. Elle ne prêta pas particulièrement attention à la déclaration de Balthasar à laquelle elle ne comprit rien.

Elle referma la porte derrière eux et les suivit à l’intérieur de la Maison. Elle rattrapa Balthasar et ne put s'empêcher de l'interpeller tout de suite, car il avait titillé sa curiosité.

- Alors comme ça, vous vouliez me voir ?

[Léonie]

Léonie avait failli se retourner en attendant la salutation rituelle de l'hôte de passage, rarement confiée aux hommes, connue seulement de quelques familiers de la guilde. Qui diable ce type pouvait-il être ?

- Il te dira ça quand nous serons tranquillement assis quelque part, chiya, répond-elle à Ash, impatiente de connaître la raison de sa présence. Suivez-moi, l'ho... Balthasar. Nous nous installerons dans un des petits salons des novices. C'est là qu'il fera le plus clair à cette heure-ci.

Volontairement, elle s'écarta légèrement pour voir ce que le vagabond allait faire, et elle fut à peine surpris de le voir se diriger vers l'escalier. Il savait donc que les novices ne se trouvaient jamais au rez-de-chaussée, par peur qu'un père ou un mari vienne les récupérer de force. Sans un mot, elle repassa devant et conduisit ses deux invités dans un petit salon à peine poussiéreux, qu'elle entretenait à l'occasion pour y recevoir ceux avec qui elle faisait affaire. Elle n'aimait pas recevoir en bas. Cela lui donnait l'impression d'usurper la place de la véritable matriarche. Tandis que les deux autres entraient, elle observa la manière dont l'homme jetait un regard circulaire autour de la pièce, enregistrant tout d'un seul coup d’œil, à la manière d'une espionne ou d'une éclaireuse.

La formule, maintenant ça... Qui êtes-vous réellement, Balthasar ? Certainement pas un simple vagabond sachant pousser la chansonnette. Quelle est cette affaire pour laquelle vous vouliez d'abord venir ? Et pourquoi vouloir venir dans une Maison quasiment abandonnée, où vous savez que personne ne pourra vous renseigner ? A moins que vous ne l'ayez pas su avant de venir en ville ?

- Asseyez-vous, dit-elle en montrant un vieux fauteuil défoncé. Chiya, je suis désolée si je te parais indiscrète, mais il est contraire à nos principes de laisser un quasi inconnu totalement seul avec une jeune femme. Je peux me mettre derrière la porte si tu ne veux pas que j'entende ce que cet homme a à dire, mais je préférerais rester, si cela ne te dérange pas.

Elle approcha de la jeune femme et lui fit signe de la suivre dans un recoin de la pièce, pour que Balthasar n'entende pas ce qu'elle voulait lui dire.

- Sois prudente, chiya, murmura-t-elle. Je sais qu'il n'a l'air de rien, comme ça, mais cet homme me dérange profondément. Il a été... éduqué. Je peux dire... Il sait des choses qu'il ne devrait pas savoir, et c'est un combattant. J'en mettrais ma main à couper. Et je n'aime pas les gens qui cachent ce qu'ils sont. Cela signifie soit qu'ils sont recherchés et veulent échapper à quelque chose, soit qu'ils ont des intentions malhonnêtes. Je ne sais pas à quelle catégorie celui-là appartient, mais en attendant d'en savoir plus, restons sur nos gardes.

[Zashera Drak]

Son regard passa alternativement de Léonie à Balthasar, puis de Balthasar à Léonie. Dans le fond, l'amazone n'avait pas tort. Elle ne connaissait pas cet homme. Même si elle avait l'impression d'être à Elwen depuis déjà des semaines, elle n'était arrivée que la veille. Et son hôte avait sans doute une longue expérience derrière elle et un bon flair. Malgré cela... Elle avait du mal à imaginer ce bonhomme avec des intentions malveillantes. Sans compter que factuellement... Elle ne connaissait pas beaucoup plus Léonie. Même si elle avait passé la nuit ici et avait discuté ensemble, elle ne pouvait pas dire qu'elles se connaissaient véritablement.

- Je comprends tes craintes. Je ne doute pas que ton instinct soit aiguisé et c'est vrai que je ne connais quasi rien de cet homme. Par-dessus le marché, le monde des Amazones lui est familier et cela semble te déranger. Je ne peux comprendre exactement pourquoi mais si tu penses que c'est anormal, je veux bien te croire.

Son regard s'attarda à nouveau sur Balthasar avant de revenir sur Léonie.

- Pourtant... Cela me gêne de faire preuve d'autant de méfiance. Oui il ne nous a pas dit qui il était, mais en a-t-il seulement eu l'occasion ? Si je voulais être provocatrice je pourrai te dire qu'après tout, tu ne sais rien sur moi. Tu m'as invitée chez toi sans la moindre appréhension alors que tu ne me connais pas. Est-ce l'attribut que nous possédons entre les jambes qui détermine ta méfiance ?

Par peur d'avoir été grossière, elle ajouta.

- Ne te méprends pas, je ne veux surtout pas te pointer du doigt, je souhaite juste objectiver la situation. D'ailleurs, si je peux te rassurer, les gens qui cachent qui ils sont ne sont pas forcément des fugitifs ou des brigands... Elle fixa sa main droite. Parfois c'est simplement de la pudeur ou par peur d'être rejeté une fois de plus.

Elle avait dit cela d'un ton las et monotone mais reprit sa diction habituelle pour poursuivre.

- Je te propose de couper la poire en deux. Je reste prudente et toi, tu ne lui sautes pas de suite à la gorge. Écoutons ce qu'il a à dire avant de présumer de ses intentions. Si nous sentons qu'il est dangereux, nous lui ferons passer l'envie de nous emmerder. Mais j'ai vraiment envie de savoir pourquoi il est là... J'ai la conviction qu'il peut m'aider.

D'un signe de tête, elle invita Léonie à retourner s'asseoir près de Balthasar. Elle en profita pour glisser à l'oreille de l'Amazone quelques mots à voix encore plus basse.

- Quoi qu'il en soit, sache que ton inquiétude à mon sujet et ton envie de me protéger me font chaud au cœur. Vraiment...